Dans le Périgord vert
Petite ville de 3 600 habitants, dans le Périgord vert, Nontron a donné son nom à un couteau de poche à manche de buis qu'on y fabrique depuis cinq siècles. La mascarade des Soufflaculs a des origines encore plus anciennes, qui remontent au Moyen Age.
La Mascarade des Soufflaculs !
Une fois par an, au début du printemps, les Nontronais se donnent une étrange mission: chasser les démons qui se cachent sous les jupes des femmes ! Armés d'un soufflet, vêtus d'une chemise de nuit blanche, d'un caleçon long et d'un bonnet de coton, ils sillonnent les rues de la ville à la poursuite de leurs concitoyennes afin d'exorciser le Malin. Dans le Périgord vert, c'est la fête des Soufflaculs.
Son origine remonte au Moyen Age. Elle faisait partie de ces traditions carnavalesques au cours desquelles le petit peuple pouvait se permettre de se moquer des puissants et des riches, notamment des nobles et des moines. Or il existait à Nontron un couvent dont les moines, dit-on, vêtus de blanc et armés d'un soufflet, allaient en procession, une fois par an, pour chasser symboliquement le diable de tous les endroits où il pouvait s'abriter.
La fête des Soufflaculs serait une parodie de cette cérémonie purificatrice, et elle aurait pris plus spécialement pour cible les Nontronaises parce qu'elles avaient la réputation d'être légères et peu vertueuses. A tel point qu'un proverbe disait: "Nontron, petite ville, grand renom, plus de putains que de toits aux maisons".
Le miracle, c'est que cette fête rabelaisienne se soit maintenue à travers les siècles. Aux alentours de la Mi-Carême - le dernier dimanche de mars ou le premier dimanche d'avril (cette année le dimanche 2 avril) - ils sont, chaque année, plus de deux cents, regroupés en une "Compagnie des Soufflaculs", à se déguiser et à se grimer pour défiler à la queue leu leu dans les rues de Nontron, en actionnant leur soufflet et en chantant à tue-tête le traditionnel refrain: "-Nous sommes tous enfants de la même famille -Notre père était fabricant de soufflets -Non, tu ne verras pas la couleur de mes guêtres, -Non, tu ne verras pas la couleur de mes bas."
Un grand défoulement populaire
La mascarade commence à 14 heures, sur la place de l'église. Les Soufflaculs s'alignent sur deux files, de part et d'autre de la chaussée. Le chef, en tenue de cérémonie noir et blanc, frac et chapeau haut de forme, prend place au milieu, un sifflet à la bouche. C'est lui qui donne le signal du départ et qui réglera ensuite l'allure du cortège. -1er coup de sifflet : chacun brandit le soufflet au-dessus de la tête -2ème coup : ils s'accroupissent -3ème coup : ils placent le soufflet en direction du postérieur de celui qui les précède -4ème coup : ils lui soufflent au cul en poussant des cris -5ème coup : ils se relèvent... et ainsi de suite
Dès qu'ils aperçoivent une spectatrice en jupe, ils se lancent à ses trousses pour tenter de placer le soufflet le plus près possible de l'endroit où le diable est censé se cacher, puis ils regagnent le cortège, où figurent différents personnages parodiques : Dagobébert, le roi fainéant, le cocu sur son âne, la vieille "baretto", qui aurait été condamnée, selon la légende, à avoir le cul cousu parce qu'elle avait pété dans l'église...
La tradition veut que les Soufflaculs fassent une halte devant chacun des cafés de la ville et que le patron offre à boire à tous les participants. Il ne reste plus que sept cafés aujourd'hui à Nontron mais c'est assez pour chauffer progressivement l'ambiance jusqu'à la place de l'hôtel de ville où a lieu le jugement et l'incinération de Buffadou, le mannequin bourré de paille qui incarne Carnaval.
Juché sur une estrade, Buffadou est publiquement chargé de tous les péchés. Il est accusé d'être fainéant, ivrogne, coureur de jupons. On lui met sur le dos tout ce qui ne va pas dans la commune : les erreurs de la municipalité, les errements de tel ou tel notable, les méfaits du temps, les problèmes économiques… C'est l'occasion d'un grand défoulement populaire qui met en joie toute l'assistance. Après quoi, le mannequin est brûlé, tandis que les Soufflaculs actionnent une dernière fois leur soufflet pour activer le feu et qu'éclatent les pétards. Tout se termine par un cassoulet géant, dans la salle des fêtes, et un bal qui prolonge tard dans la nuit la folle animation de cette mascarade d'un autre âge.
Certains s'interrogent, du reste, sur son avenir, tel Jean-Pierre Hieret, le conservateur en chef du Musée d'Aquitaine : "Ce carnaval ultra-machiste résistera-t-il longtemps à la vague de fond du politiquement correct ? La civilisation du portable et de l'internet fera-t-elle encore une place à cette forme de communication directe, sensuelle et prosaïque, fondée sur la nourriture, le sexe, le rire et la contestation, même temporaire, des notables ?", écrit-il. En 2006, en tout cas, la fête des Soufflaculs de Nontron s'annonce plus joyeuse, plus impertinente et plus délirante que jamais, avec des "surprises" que Michel Meyleu, l'infatigable président de la compagnie, n'a pas voulu me dévoiler.